Lorsqu’un masseur-kinésithérapeute discerne qu’une personne à laquelle il est appelé à donner des soins est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection.

S’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, il alerte les autorités judiciaires, médicales ou administratives.

1 - NOTION DE SÉVICES ET PRIVATIONS

Les termes de « sévices » et « privations » font écho à l’article 226-14 du code pénal, qui prévoit que le professionnel de santé ne peut pas être poursuivi pour violation du secret professionnel lorsqu’il effectue de bonne foi et sous certaines conditions un signalement auprès des autorités judiciaires, médicales ou administratives.

Les « sévices » et « privations » peuvent être d’ordre physique, psychologique ou psychique. Il peut ainsi s’agir d’une situation de cruauté mentale, de négligence ayant des conséquences préjudiciables sur l'état de santé et, pour un enfant, sur son développement physique, psychologique et psychique. Il peut également s’agir d’atteintes ou de mutilations sexuelles.

Sont ainsi visées toutes les situations dans lesquelles le kinésithérapeute suspecte que son patient subit une maltraitance ou des violences, quelle que soit leur nature.

2 – OBLIGATION D’AGIR POUR PROTÉGER LE PATIENT

Il y a obligation d’agir dès lors que le kinésithérapeute « discerne » que son patient est victime de sévices ou de privations.

L’obligation d’agir existe donc même en présence de simples présomptions.
Il appartiendra ensuite aux autorités administratives ou judiciaires, destinataires du signalement, d'évaluer la réalité des faits et de prendre les mesures appropriées.

L’inaction du kinésithérapeute en méconnaissance de l’article R. 4321-90 du code de la santé publique l’expose non seulement à des poursuites disciplinaires, mais également à des poursuites pénales.

En effet, à la différence des articles 434-1 et 434-3 du code pénal, l’article 223-6 du même code (réprimant la non intervention pour éviter un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle et la non-assistance à personne en péril) ne prévoit aucune immunité pour les personnes dépositaires du secret professionnel.

L’inaction du kinésithérapeute est donc susceptible de l’exposer à des poursuites pénales pour ce que l’on appelle communément « non-assistance à personne en danger ».

Une telle inaction peut enfin engager la responsabilité civile du masseur-kinésithérapeute (cf. article 1241 du code civil).

3 – MODALITES D'ACTION

Le kinésithérapeute doit « mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour protéger [la victime présumée] en faisant preuve de prudence et de circonspection ».

Lorsqu’est en cause un mineur ou une personne vulnérable, le kinésithérapeute est tenu d’alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives compétentes.

• Forme et contenu du signalement

Le signalement, par lequel le professionnel fait connaître la situation de la personne en danger à une autorité compétente, peut en principe être donné par tout moyen, y compris par appel téléphonique (dans ce cas, il doit être conservé la trace de l’interlocuteur et la date de l'appel). En pratique, il est recommandé de l’effectuer par écrit, en conservant une copie du document.

Le Conseil d’Etat a précisé dans son arrêt n° 43146 du 19 mai 2021 que le signalement adressé par un professionnel de santé aux autorités administratives ou judiciaires vise à transmettre à ces autorités « tous les éléments utiles qu’il a pu relever ou déceler dans la prise en charge de ce patient, notamment des constatations médicales, des propos ou le comportement de l’enfant et, le cas échéant, le discours de ses représentants légaux ou de la personne accompagnant l’enfant soumis à son examen médical ».

Pour pouvoir justifier si nécessaire que le signalement n’a pas été réalisé avec trop de légèreté et qu’il a été effectué de bonne foi (notamment dans le cas où l’enquête conclut à l'absence de privations ou de sévices), il est important que le signalement reste très factuel et exempt de tout jugement et de toute prise de parti.

Le kinésithérapeute doit ainsi s’exprimer avec prudence et ne pas s’approprier les propos du patient ou de son entourage qu’il rapporte.

• Articulation avec le secret professionnel

L'article 226-14 du code pénal protège les professionnels de santé qui effectuent un signalement de bonne foi. Cet article prévoit que « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi ».

La loi protège le masseur-kinésithérapeute qui, de bonne foi, effectue un signalement aux autorités dans les conditions suivantes :

« (…) 2° (…), avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ;

(…) porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l'article 132-80 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n'est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l'emprise exercée par l'auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure ; en cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ;

(…) informe le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont il sait qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une ».

• Particularités en fonction de la victime

> La victime est un mineur

Il faut entendre par mineur toute personne de moins de 18 ans.

S’il est préférable de rechercher et obtenir le consentement de la victime (notamment s’il approche l’âge de la majorité), l’accord de celle-ci ne constitue pas une condition au signalement.

> La victime est majeure

Dans ce cas, le signalement des sévices est effectué après accord écrit de la victime (cf. article 226-14 du code pénal).

Toutefois, lorsque la victime des sévices et privations est une personne majeure vulnérable, qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique psychologique ou psychique, le signalement est fait même si son accord n’a pu être recueilli.

> En cas de suspicion de violences au sein du couple

Depuis la loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences, l’article 226-14 du code pénal prévoit que lorsque le masseur-kinésithérapeute estime en conscience que les violences exercées (atteinte à l’intégrité physique et/ou psychique) au sein du couple mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur de ces violences, il peut alerter les autorités judiciaires ou administratives en s’efforçant d’obtenir au préalable l’accord de la victime majeure.

Toutefois, cet accord n’est pas nécessaire si la victime est une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.

En cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République.

Afin de renforcer l’implication des professionnels de santé dans la lutte contre les violences au sein du couple, la Haute Autorité de Santé a publié des recommandations pratiques destinées à favoriser le repérage des personnes victimes de violences au sein du couple par les professionnels de santé. Cette page du site de l’Ordre y est spécifiquement dédiée et pourra s’avérer utile pour le kinésithérapeute qui s’interroge sur la conduite à tenir.

• Destinataire du signalement

Le signalement (qui ne doit en aucun cas être remis par le masseur-kinésithérapeute à la victime ou à un tiers, fût-il parent), doit être adressé :

  • Au procureur de la République ou son substitut au Tribunal judiciaire du lieu de résidence habituel de la victime. Une permanence est assurée 24 heures sur 24. Les commissariats de police et brigades de gendarmerie disposent de la liste des magistrats de permanence et de leurs coordonnées téléphoniques ;

Ou

  • A la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) du département compétent.

En tout état de cause, le masseur-kinésithérapeute « alerte » l'autorité publique sur une situation qu'il constate ou qu’il est obligé d'interpréter puisqu'il doit affirmer que l'état du patient a pour cause, avérée ou probable, des sévices.

Ainsi après avoir rapporté aussi fidèlement que possible les paroles de la victime recueillies au cours de l'entretien, décrit les signes relevés à l'examen clinique, le masseur-kinésithérapeute peut faire état dans le signalement de sa conviction, de son sentiment que la personne est très probablement victime de sévices.

Si la personne le demande, un certificat lui est remis en main propre, ce qui doit être mentionné sur le certificat. Le masseur-kinésithérapeute rédacteur en garde une copie.

Des modèles-types de certificats médicaux sont proposés par le Conseil national de l’Ordre, téléchargeables sur cette page du site de l’Ordre.

4 – EXCEPTION A l’OBLIGATION D’ALERTE

Dans des situations exceptionnelles, le masseur-kinésithérapeute peut décider de ne pas alerter, dans l’immédiat, s’il estime en conscience que l’alerte est susceptible d’aggraver la situation.

Sa responsabilité pouvant être engagée, le kinésithérapeute s’appuiera, s’il le souhaite, sur des avis extérieurs (par exemple le médecin traitant, le médecin scolaire, un membre de l’équipe de soin…) pour affronter ces situations délicates.